Quelles limites planétaires dépassées en 2022 ?

Nous entendons souvent dire par la communauté scientifique ou les médias que nous avons dépassé telle ou telle limite planétaire. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement ? Où en sommes-nous aujourd’hui et quelles sont les conséquences sur la planète Terre ? 

Six limites planétaires sur neuf déjà dépassées

Les limites planétaires désignent des seuils à l’échelle globale que l’humanité ne doit pas franchir pour ne pas compromettre la vie sur terre. Il s’agit des limites au-delà desquelles des changements trop importants induits par les êtres humains sur l’environnement deviennent irréversibles, avec des conséquences souvent imprévisibles sur la biosphère. Créé par une équipe de chercheurs dirigée par le scientifique suédois Johan Rockström, le concept a été publié en 2009 dans les revues Nature et Ecology and Society et actualisé en 2015. Il se compose de neuf limites planétaires, dont six ont dores et déjà été dépassées.

Limites planétaires en 2022. Source: Stockholm Resilience Centre

Chacune de ces limites se traduit généralement par une valeur liée à une variable de contrôle (par exemple des quantités de polluants émis) permettant de juger de la dangerosité de l’état de la planète. En 2022, six des limites planétaires définies par les chercheurs ont déjà été dépassées. Celles-ci concernent notamment le changement climatique et l’acidification des océans, mais aussi l’effondrement de la biodiversité, les rejets d’azote et de phosphore dûs à l’agriculture, la déforestation et l’usage de l’eau douce. Mais que signifie chacune de ces limites planétaires et comment leur dépassement est-il mesuré ? Voici quelques éléments concernant chaque limite planétaire permettant de comprendre ce puissant outil d’analyse de l’état des écosystèmes. 

1. Le changement climatique 

Le lien entre les variations des températures sur le long terme et l’activité humaine n’est plus à prouver. Notre consommation d’énergie fossile produit des gaz à effet de serre qui dérèglent le système climatique. Parmi les nombreuses conséquences qui en résultent: l’élévation de la température de l’atmosphère, mais aussi des eaux, la fonte des glaciers et calottes glaciaires, l’augmentation du niveau des eaux, les sécheresses et précipitations, le recul de la biodiversité terrestre et marine, etc.  

Pour établir cette limite planétaire, les chercheurs se sont basé sur deux indicateurs: la concentration du CO2 dans l’atmosphère (qui ne doit pas dépasser 350 ppm) et le surplus d’énergie reçue par la terre qu’on appelle le “forçage radiatif” (pas plus de 1 watt par m² par rapport à l’ère pré-industrielle). Aujourd’hui, ces deux indicateurs sont de 419 ppm et 2.3 watt par m² respectivement. C’est pourquoi, cette limite est aujourd’hui largement dépassée. 

2. L’érosion de la biodiversité

Aujourd’hui, le recul de la biodiversité est tel que les êtres humains et le bétail représentent 96 % des mammifères terrestres, et les poulets et autres volailles représentent 70 % des oiseaux. De plus, la moitié de la surface de corail a disparu depuis les années 1870. Selon l’IPBES, un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction aujourd’hui. 

Cette limite planétaire, aujourd’hui dépassée, se mesure grâce au taux d’extinction des espèces. Selon Rockström et son équipe, ce taux ne devrait pas dépasser 10 extinctions sur un million d’espèces (en 2009, ce taux était 10 fois supérieur à celui-ci). En effet, bien que l’extinction d’espèces soit un phénomène naturel, il a connu une très forte accélération depuis l’ère pré-industrielle. Aujourd’hui, ce taux est 10 à 100 fois supérieur à la moyenne des 10 millions d’années précédentes, soit un niveau équivalent à celui de la dernière extinction de masse. 

3. Les cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore

Ces éléments chimiques sont essentiels dans la nutrition des végétaux. Leur excès dans l’environnement provient des engrais azotés, des effluents d’élevage mais aussi des eaux usées. Lorsqu’ils se propagent dans les milieux aquatiques, l’azote et le phosphore induisent l’eutrophisation de ces derniers (c’est-à-dire que l’excès de nutriments reçu par ces milieux induit une prolifération d’algues qui perturbe l’équilibre des écosystèmes). Leurs taux sont aujourd’hui si élevés qu’ils induisent une perturbation des cycles chimiques à l’échelle mondiale. La limite planétaire a été fixée par les chercheurs à un intervalle de 62 à 82 millions de tonnes par an pour l’azote, et 11 millions de tonnes pour le phosphore. Aujourd’hui ces deux valeurs sont de 150 et 22 millions de tonnes respectivement. 

4. Les changements d’usage des sols:

L’activité humaine se propage sur une surface de plus en plus importante, notamment du fait de l’intensification de l’agriculture, mais aussi de l’urbanisation. Ceci passe par la déforestation, qui a pour conséquences une perte de la biodiversité, une accélération du changement climatique, une augmentation de l’érosion des sols, etc. Aujourd’hui, les bâtiments et infrastructures sur terre pèsent plus lourd que les arbres et arbustes

Celle limite planétaire liée au changement d’usage des sols est mesurée par le pourcentage de terres dédiées à l’agriculture, fixé en 2009 à 15% de terres agricoles. Des indicateurs liés à la préservation des forêts ont ensuite été ajoutés: par exemple, au moins 75 % des terres forestières doivent rester boisées selon les chercheurs. 

5. L’utilisation mondiale de l’eau

L’eau douce est indispensable à l’activité humaine en général, et de l’agriculture en particulier. Aujourd’hui, l’intensification des prélèvements d’eau douce perturbe les cycles hydrologiques et le bon fonctionnement des écosystèmes. Cette limite planétaire concerne ce qu’on appelle “l’eau bleue” (l’eau souterraine, des rivières et des lacs), mais aussi “l’eau verte”, celle qui est stockée dans la végétation et le sol. C’est ce second type de ressource qui a fait basculer cette limite planétaire dans le dépassement en 2022. En effet, 85% de la surface des zones humides a disparu aujourd’hui. 

6. L’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère 

Cette limite planétaire désigne les produits introduits dans la biosphère par l’activité humaine tels que les métaux lourds, les éléments radioactifs, les nanomatériaux, les plastiques, etc. Aujourd’hui, la masse de plastiques sur terre est deux fois supérieure à celle des animaux

Cette pollution a un effet délétère sur la santé de l’homme, perturbe les écosystèmes et augmente leur vulnérabilité au changement climatique. Fixer un seuil de pollution à ne pas dépasser est particulièrement complexe, puisque les substances sont nombreuses et ont des effets combinés. Des études sont en cours pour mieux identifier les impacts négatifs de ces produits à long terme et au niveau global sur les organismes vivants. 

7. L’acidification des océans: 

Un quart du CO2 émis par les êtres humains dans l’atmosphère est absorbé par les océans, ce qui induit une perturbation de la chimie de ces derniers et augmente leur acidité.

En conséquence, ces derniers ont une capacité d’absorption du CO2 de plus en plus réduite, et les écosystèmes marins sont menacés. En effet, une eau plus acide peut corroder les minéraux dont dépendent de nombreuses créatures marines pour construire leurs coquilles et squelettes. Pour décrire cette limite planétaire, les chercheurs se sont basés sur l’état de saturation en eau de mer d’un minéral appelé Aragonite: une forme essentielle de carbonate de calcium que de nombreux organismes utilisent dans leur processus de calcification. La limite planétaire a été fixée à 80 % du seuil de saturation qu’il y avait à l’ère préindustrielle. Aujourd’hui cette valeur n’a pas été globalement dépassée.

8. L’appauvrissement de la couche d’ozone stratosphérique: 

La couche d’ozone protège les êtres vivants (humains et végétaux) des rayonnements ultraviolets. Son appauvrissement est dû à des réactions chimiques complexes entre des composants provenant des activités humaines (réfrigération, climatisation, systèmes de protection des incendies, solvants industriels, etc.). La limite planétaire associée est mesurée à travers la concentration d’ozone stratosphérique. Celle-ci ne doit pas être en deçà de 95 % de son niveau préindustriel (soit 275 DU)

9. Les aérosols dans l’atmosphère:

 Les aérosols sont un ensemble de particules fines en suspension dans l’air tels que des poussières, des embruns ou de la suie. Ils sont en grande majorité d’origine naturelle, mais proviennent en partie de l’activité humaine. Bien que certains aérosols aient un effet refroidissant sur le climat, leur effet global est aujourd’hui réchauffant d’après le GIEC. De plus, ils sont dangereux pour la santé de l’homme, car susceptibles de traverser l’appareil respiratoire humain. Cette limite planétaire est mesurée par l’épaisseur optique de l’aérosol dans une région donnée, c’est-à-dire le taux d’opacité de l’atmosphère induite par un aérosol. 

Que se passe-t-il lorsqu’une limite est dépassée ?

Depuis plus de 11 000 ans, la planète Terre fonctionne dans un régime de stabilité et d’équilibre entre ses différents éléments. Du fait de l’activité humaine, la Terre est en passe de basculer vers un régime de fonctionnement différent. Ce dernier est caractérisé par un emballement et l’accélération des effets dévastateurs sur l’environnement. A chaque fois qu’une limite planétaire est dépassée, ce point de bascule se rapproche. Le concept de limites planétaires a été créé pour alerter sur le fait que la Terre ne pourra pas indéfiniment absorber les déséquilibres que nous lui imposons. Il reste toutefois difficile de prévoir avec exactitude à quel moment cette bascule vers un régime d’instabilité se produira. 

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